Le Projet ANR « CRISIS »

CRISIS: Imperial and provincial responses to environmental and economic challenges on Rome’s frontier in the Egyptian desert (First-Sixth c. AD)

Fundings: Agence Nationale pour la Recherche (ANR-15-CE03-0004).

Principal Investigator: Gaëlle Tallet (University of Limoges)

Partners: Roger S. BAGNALL (New York University, USA), Jean-Paul BRAVARD (University Lumière Lyon 2, France ; UMR 5600) ; Salima IKRAM (American University in Cairo, Egypt) et Corinna ROSSI (MUSA Centre, University Federico II, Napoli, Italy; ERC).

Duration: 2016-2020.

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Certain concepts evoke such powerful connotations that they obscure the complexities of the phenomena they describe. The word crisis is one such example. While the term may appear to encompass a complex series of events leading up to fundamental changes, it proves problematic in that it introduces a time-related dimension that concentrates scattered structural sequences into a limited time period. Jared Diamond, who preferred the concept of collapse (2005), has deepened our approach to thinking about the resilience of a society, be it ancient or modern, and led us to look for answers and innovations, with a special focus on the sustainability of societies. These concepts, of « crisis » or « collapse » have deeply affected historiography, in particular that of the Roman Empire, with the controversial work of Huntington for instance, who tried to think the collapse of the Roman Empire in terms of climate. Still, these concepts pose important methodological questions; namely, how should the resilience of structures be measured? What chronological scale should be privileged ? How can we assess the dynamics and inputs of crisis in a society ?
In this regard, the second half of the third century AD used to be presented as a period of major political crisis within the Roman Empire. Ancient writers of both pagan and Christian faiths often associate this time with never-ending wars, barbarian invasions, famines, epidemics and earthquakes. Historians have refined this “major crisis of the third century,” in the words of Marc Bloch, over recent decades and enhanced the fact that regional situations differed strongly in the Provinces.
In Egypt, signs of crisis —often hastily attributed to the third century— do not coincide chronologically in the primary source material; rather, they occur throughout a transition period from the beginning of the third century all the way to the sixth century AD. The crisis becomes challenging to grasp fully as its manifestations extend over a long period and requires a pluridisciplinary approach as it encompasses environmental, political and economical aspects. The region of the oases of the Libyan Desert, especially the Great Oasis (Dakhla and Kharga), serves as an indicator for understanding the entire period, as it is located on the edges of the Empire and felt the various problems and debates pertaining to the crisis of Late Antiquity. Against all odds, this fragile, exposed, almost insular oasis environment, whose role in the Empire’s southern defensive line has long been debated, was able to avoid collapse during a long period.?
Four archaeological missions working in the Great Oasis – the Amheida team in Dakhla Oasis, directed by Roger Bagnall, the North Kharga Oasis Darb Ain Amur Survey, under Salima Ikram’s responsibility, the Umm Dabadib Mission, directed by Corinna Rossi, and the El-Deir mission in Kharga oasis, under Gaëlle Tallet’s direction- and a geoarchaeological team, led by Jean-Paul Bravard, aim at painting a more detailed picture of the situation in this major area of the Empire throughout a large transition period- first to sixth century AD- using a pluridisciplinary and collaborative methodology. The environmental, political, cultural and economical facets of the various crises faced by the Great Oasis throughout the end of Antiquity will be studied together in order to grasp the resilience and capacity of adaptation of these societies and to provide a regional frame to the understanding of the crisis of the Roman Empire.

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CRISIS: Réponses impériales et provinciales aux défis environnementaux et économiques à la frontière de l’Empire romain (Désert égyptien, Ier-VIe s. p.C.)

Certains concepts peuvent occulter par leur puissance évocatrice même la diversité et les nuances – régionales, périodiques – des phénomènes qu’ils décrivent. Le concept de « crise » est de ceux-là, en ce qu’il semble opportunément restituer la complexité d’événements dont on pressent qu’ils ont été décisifs et porteurs de mutations fondamentales, mais introduit toutefois une dimension temporelle problématique, concentrant en un temps limité des phénomènes structurels et des séquences dont la convergence n’est pas évidente. Jared Diamond, qui lui a préféré le concept d’ « effondrement » (2005), a considérablement approfondi l’approche d’un processus qui conduit à penser la question fondamentale de la résilience des sociétés, anciennes ou modernes, en mettant l’accent sur les processus d’adaptation, de réponse et d’innovation. De fait, ces concepts de « crise » ou d’« effondrement » ont profondément marqué l’historiographie, et en particulier celle de l’Empire romain, comme en témoignent les travaux controversés d’Huntington, qui a tenté de penser l’effondrement de Rome dans une perspective climatique. Mais ils posent aussi d’importants problèmes méthodologiques : quelle échelle de temps retenir ? Comment rendre compte des résiliences des structures ? Comment évaluer les dynamiques et éventuellement les apports d’une crise au sein d’une société ?
À cet égard, la deuxième moitié du IIIe s. de notre ère a longtemps été perçue comme une période de crise politique majeure dans l’Empire romain, à laquelle les auteurs anciens, païens comme chrétiens, associent fréquemment un cortège de guerres incessantes, d’incursions barbares, de famines, d’épidémies et de tremblements de terre. Les historiens des dernières décennies ont pu apporter des nuances à cette « grande crise du IIIe siècle », selon l’expression de Marc Bloch, et ont souligné la diversité des situations dans les différentes Provinces. En Égypte, on peine à articuler les différentes facettes invoquées de cette crise –militaire, matérielle, culturelle, économique– souvent attribuées hâtivement au IIIe s., et on en entrevoit dans les sources des manifestations tout au long d’une période de transition qui s’étend du début du IIIe s. jusqu’au VIe s. Une crise difficile à appréhender, donc, et qui requiert une approche pluridisciplinaire et sur une longue durée. C’est ce qui transparaît de l’examen de la situation dans une zone fondamentale pour comprendre la période, à savoir les oasis du désert Libyque et plus particulièrement la Grande Oasis, entité formée par les oasis de Dakhla et de Kharga, dont l’insertion dans une ligne de frontière défensive au sud de l’Empire a fait débat. Contre toute attente, dans ce milieu oasien, quasiment insulaire, fragile et exposé, proche des modèles îlotiques retenus par Diamond, la crise échappe, l’effondrement menace sans cesse mais ne se laisse pas aisément documenter. C’est davantage la résilience de ces sociétés que nous montrent les sources.
Quatre missions archéologiques travaillant dans la Grande Oasis – l’équipe d’Amheida, à Dakhla, dirigée par Roger Bagnall, le North Kharga Oasis Darb Ain Amur Survey, sous la responsabilité de Salima Ikram, la mission italienne d’Umm Dabadib, dirigée par Corinna Rossi, et la mission française d’el-Deir, dirigée par Gaëlle Tallet– se proposent de collaborer avec une équipe de géoarchéologues, dirigée par Jean-Paul Bravard, afin de tenter d’appréhender plus finement la situation dans cette zone majeure de l’Empire pendant une longue période de transition – du Ier au VIe siècle de notre ère – avec une méthode pluridisciplinaire. Les facettes environnementales, politiques, culturelles et économiques des différentes crises qu’a traversées la Grande Oasis à la fin de l’Antiquité seront étudiées de manière conjointe de manière à mieux appréhender la résilience et les capacités d’adaptation de ces sociétés, et à proposer une approche régionale de la question fondamentale de la fin de l’Empire romain.